Les Notebooks ont accompagné Coleridge pendant près de quarante ans. Fidèles compagnons du poète, ces petits carnets se devaient de saisir les mouvements de sa pensée afin qu’il puisse en voir l’évolution et en comprendre la formation. À la fois carnets d’écrivain, carnets d’esquisse, recueil de citations, journal intime, carnets de voyage et d’exil, brouillons d’œuvre, laboratoire d’écriture, ces textes ne se laissent finalement saisir par aucun vocable tant l’écriture y est foisonnante et bigarrée. L’appellation notebook, traduite par le terme « carnet » dans la sélection de fragments traduits par Pierre Leyris, est peut-être d’ailleurs la plus juste car elle ne désigne ni un genre, ni une écriture, mais simplement le support d’écriture. Toutefois, libre de toute contrainte, l’écriture des Notebooks offre aux yeux de nombreux critiques les plus beaux éclats de pensée du poète, taillés dans la chair du monde et livrés sur le vif. Cette quasi-concomitance entre la pensée et son écriture permet en effet au lecteur d’être au plus près d’une pensée d’une extrême richesse, complexité et ambivalence.
Néanmoins entre la pensée et son inscription sur la surface du papier, il y a le geste. Comment définir le geste d’écrire ? Et plus spécifiquement le geste de s’écrire ? Les Notebooks sont une écriture à soi, totalement improvisée, une écriture de l’instant. Le lecteur se fait dès lors le témoin d’un geste créateur qui tisse une forme textuelle en devenir qui se disséminera dans ces autres écrits poétiques et critiques. En ce sens, les fragments des Notebooks donnent peut-être à voir ce qu’une œuvre destinée à la publication masque, à savoir tous les obstacles et les résistances auxquels le geste va devoir faire face pour venir construire (ou pas) la pensée et la mettre en mots. Le geste est en effet l’acte physique par lequel la pensée devient effective et peut être couchée sur le papier. Si le geste d’écrire nous semble tout à fait naturel et spontané, nous souhaiterions nous appuyer sur les travaux du philosophe tchèque Vilem Flusser pour en démontrer la complexité1. Nous nous poserons ainsi la question de savoir comment les Notebooks, qui sont la transcription la plus exacte du processus de pensée de Coleridge, de ses fluctuations, de ses égarements, de ses digressions, matérialisent ces obstacles.
La notion de résistance dans l’acte d’écrire se double à notre sens d’une autre forme de résistance lorsque nous évoquons l’idée d’un geste autobiographique. Comment le texte manuscrit que nous avons sous les yeux donne-t-il à voir la difficulté de se mettre en mots ? Chez Coleridge, le geste d’écrire relève parfois d’une volonté de se saisir d’un quelque chose qui demeure toujours de l’ordre de l’insaisissable. Qu’en reste-il alors sur la surface ? Il sera, à ce titre, intéressant d’examiner les pages des manuscrits et de voir comment le geste d’écrire abandonne une structure linéaire et traditionnelle dès que la plume tente de s’écrire. Car lorsque Coleridge sort du cadre réflexif pour tenter de sonder l’intériorité, il se confronte à cette angoisse terrible qui caractérise le mal mélancolique. C’est le geste d’écrire, dès lors, plus que l’écriture en elle-même qui offre une dimension salvatrice. Cependant, ce qu’il tente de mettre en mots est cette nébuleuse de pensées confuses, gouvernée par l’imagination fantasque (la « fancy » coleridgienne). Le geste d’écrire vient alors substituer au dicible le non-verbal en tant qu’objet purement visible (la biffure, l’effacement, le trait, les pages arrachées, l’esquisse) pour tenter de signifier cet objet qui demeure insaisissable.
1. Le geste d’écrire : de la chose à l’objet
L’écriture carnétiste toutefois n’est pas une écriture qui se replie sur le soi, une écriture menacée de solipsisme. Comme le remarque Louis Hay, « objet et fonction font système : la caractéristique matérielle, la taille, répond à la fonction, la mobilité2 ». Le regard et la pensée, sans cesse en mouvement, se nourrissent du monde extérieur, de ses formes, de ses teintes et nuances. Pierre Pachet, préfaçant les Carnets de Coleridge, écrit que « regarder, c’est retremper la pensée à sa source3 ». Les Notebooks sont bien davantage une aide à la réflexion qu’une écriture permettant de mieux appréhender le soi, telle que la pratiquent les intimistes du XIXe siècle. Coleridge avait d’ailleurs un profond mépris pour cette écriture, qualifiant celle de Montaigne de « mere amusing gossip, a chit-chat story4 ». Toutefois, le poète était mû par ce même besoin vital d’écrire dans des carnets. Ainsi s’adresse-t-il à ses Notebooks :
Ah ! dear Book ! Sole Confidant of a breaking Heart, whose social nature compels some Outlet. (…) Hence I deduce the habit, I have most unconsciously formed, of writing my inmost thoughts – I have not a soul on earth to whom I can reveal them – and yet
« I am not a God that I should stand alone »
and therefore to you, my passive, yet sole [true &] unkind friends I reveal them.5
Les carnets se substituent ainsi à cet autre qui fait défaut dans la vie du poète : épouse, amante ou ami. L’ampleur de son œuvre (notamment sa correspondance et ses carnets) témoigne de cette nécessité d’écrire. Pour le poète, l’acte de communication, la mise en mot d’une douleur, permet en théorie de clarifier l’affect, cette nébuleuse obscure (« a misty medley ») :
One excellent use of communication of Sorrows to a Friend is this : that in relating what ails us we ourselves first know exactly what the real Grief is - & see it for itself, in its own form & limits – Unspoken Grief is a misty medley, of which the real affliction only plays the first fiddle – blows the Horn, to a scattered mob of obscure feelings &c.6
Le geste d’écrire, plus spécifiquement dans sa correspondance ou dans ses Notebooks, est ainsi perçu comme ce qui permet de clarifier un sentiment (« Grief »), et donc de délimiter clairement les contours et limites de l’objet de deuil.
Le geste d’écrire, qui engage la langue et sa structure, permettrait, selon Coleridge, une objectivation d’un sentiment de perte (« Grief »), c’est-à-dire la transformation de ce sentiment en quelque chose de palpable (« real Grief », « real affliction ») donc la mise en présence par l’image de l’objet perdu. La structure du langage permettrait ainsi la transformation de l’idée ou du sentiment en une pensée effective. Ce que nous dit Coleridge dans ce fragment, c’est que l’acte de communiquer (donc l’acte de langage) définit ou du moins organise (« in its own form & limits ») l’acte de penser ; la pensée s’ordonne par le langage. Le geste d’écrire (la mobilisation des règles de la logique, la grammaire, la qualité sonore des mots, leur rythme, ce que Flusser nomme « obstacles ») n’est pas ici perçu comme résistance à la pensée mais bien au contraire comme une condition essentielle de l’acte de penser. Toutefois, la pratique carnétiste de Coleridge livre une approche bien plus complexe et ambivalente du geste d’écrire par lequel la chose deviendrait objet.
Comme Coleridge semble le suggérer, rien ne semble plus naturel qu’écrire. Une pensée traverse l’esprit et la plume la met sur le papier. L’événement, qui se situe entre la pensée et les mots ou signes graphiques, constitue le « geste d’écrire ». Le geste nous paraît naturel, dénué d’oppositions ou de résistances. Écrire fait même naître l’idée d’une certaine liberté de mouvement ; nous sommes libres d’écrire ce qui nous passe par la tête.
Pour reprendre la définition du philosophe Vilem Flusser, le « geste d’écrire » est l’acte par lequel un matériau (encre, craie...) est mis sur une surface (papier, tableau…). Dans son essai, il ne s’intéresse ni à la pensée ni au produit fini mais au rapport complexe qui articule les deux. Et ce geste, selon lui, n’a rien de naturel car toute une série d’obstacles vient s’interposer entre la pensée virtuelle et l’inscription de cette pensée « mise en mots ». Cette série d’obstacles constitue le geste d’écrire. Son essai pose le geste comme la réalisation des « pensées sous la résistance objective des obstacles qui se dressent entre la chose qui pressionne et la surface à être imprimée7 ». Une telle définition inscrit le geste d’écrire comme un acte de défi : être capable de faire tomber un à un les obstacles qui viennent s’interposer entre l’idée (qui n’est peut-être pas encore pensée) et la surface du papier. Quelles sont ces résistances ? Vilem Flusser en décline un certain nombre :
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la nécessité d’avoir une surface ou un outil d’inscription.
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des formes pour tenter d’articuler « cette chose qui pressionne » : lettres, rythme, sonorité, …
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des règles qui ordonnent ces formes : celle de la grammaire, des règles de la logique, de la sémantique, …
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un motif pour articuler l’idée…8
Chacun de ces obstacles offre une forme de résistance matérielle qui a sa réalité propre : celle de l’ordinateur, du crayon, celle des opérations cognitives pour que la pensée devienne effective, celles des règles de la grammaire, de la syntaxe. Le geste d’écrire mobiliserait ainsi toute une série de niveaux ontologiques différents.
Ce qui est fascinant dans les Notebooks, c’est qu’ils donnent à voir ce travail du geste, cette difficulté de passer de la chose pensée (« Thought ») à la chose écrite (« Words as living Things » pour Coleridge) qui nécessite, comme le dit Flusser, de faire tomber ces résistances. Coleridge déplore bien souvent l’insuffisance des mots :
Without Drawing, I feel myself but half invested with Language.9
O that I had the Language of Music / the power of infinitely varying the expression, & individualizing it even as it is / - My heart plays an incessant music / for which I need an outward Interpreter / - words halt over & over again !10
ah ! how
mightierwhat are Words but air ? & impulses of air ? O who has deeply felt, deeply, deeply ! & not fretted & grown impatient at the inadequacy [of Words to Feeling,] of the symbol to the Being ? – Words – what are they but a subtle matter ? and the meanness of Matter must they have, & the Soul must pine in them, even as the Lover who can press kisses onlyon his thisthe garment of one indeed beloved.11
Cette résistance du passage de la pensée au mot est matérialisée dans le dernier fragment par l’évocation de la matière (« subtle matter ») qui vient s’interposer entre la chose pensée et le mot comme un vêtement (« the garment ») entre deux êtres. Le geste serait peut-être un acte de désir (« the Soul must pine in them ») qui témoignerait de l’existence d’un hiatus entre la pensée et son inscription matérielle.
2. La nébuleuse romantique ou l’impossible geste de s’écrire
Ces quelques fragments posent bien la complexité et l’ambiguïté du geste créateur, dans les écrits de Coleridge. Ce dernier était profondément tiraillé entre la variété et la beauté du monde naturel, substrat de ses premiers poèmes, et une pensée unifiante d’inspiration plotinienne. Pour reprendre les mots de Seamus Perry, « Coleridge was unhappily in love with plurality12 ». Ainsi décrit-il cette approche irrésolue et divisée au monde naturel et la poétique qui le sublime dans une lettre rédigée à William Sotheby :
I wished to force myself out of metaphysical trains of thought, which, when I wished to write a poem, beat up game of far other kind. Instead of a covey of poetic partridges with whirring wings of music, or wild ducks shaping their rapid flight in forms always regular (a still better image of verse), up came a metaphysical bustard, urging its slow, heavy, laborious, earth-skim-ming flight over dreary and level wastes.13
La résistance au geste poétique serait ici matérialisée par le mouvement lourd et pesant d’un seul oiseau, une outarde, survolant une contrée désertique. Par opposition, la pensée poétique est métaphorisée par un vol de perdrix ou de canards sauvages dont l’harmonie du mouvement, du rythme et de la forme constituerait la parfaite représentation d’un poème : l’union d’éléments disparates (« a covey of poetic partridges »), le mouvement fluide (« rapid flight ») mais surtout la régularité de la forme (« in forms always regular »). Une autre image de vol d’oiseaux dans les Notebooks illustre cette dimension profondément ambivalente du geste poétique et créateur chez Coleridge. Rédigé en novembre 1799, le fragment tente de décrire les mouvements d’un vol d’étourneaux :
Starlings in vast flights drove along like smoke, mist, or anything misty (without) volition – now a circular area inclined (in an) arc – now a globe – (now from a complete orb into an) ellipse & oblong – (now) a balloon with the (car suspend)ed, now a concaved (sem)icircle & (still) it expands & condenses, some (moments) glimmering & shivering, dim & shadowy, now thickening, deepening, blackening !14
Image visible de la résistance et de la réversibilité à l’œuvre dans le geste créateur, le vol d’étourneaux vient figurer le geste de s’écrire chez le mélancolique qui est mû par cette volonté de donner corps par les mots et les signes graphiques à un objet qui sans cesse se dérobe. Le geste de s’écrire est alors animé par une passion sans objet, par ce centre dérobé de l’être qu’évoque Maurice Blanchot dans L’espace littéraire15. Lorsque Coleridge évoque la pensée métaphysique (par le vol de l’outarde), il décrit une terre dévastée : « a wasteland », « over dreary and level wastes ». Ce qui caractérise le mélancolique est cette incapacité à investir les lieux. Sa pensée n’aspire qu’à un ailleurs, tout en sachant que celui-ci demeure hors de portée. Pour reprendre les termes de Jean Starobinski, la mélancolie entretient « une relation malheureuse avec l’espace16 » :
Sans logis ou mal logée, réduite à la cellule exiguë ou à l’espace sans bornes, elle ne peut connaître le rapport harmonieux du dedans et du dehors qui définit la vie habitable.17
Toutes ces images de vaporisation viennent signifier le sentiment de décorporalisation qui caractérise la pensée mélancolique. Il écrit ainsi à William Wordsworth avant son départ à Malte :
I believe in your Tragedy, a wish to retire into stoniness & to stir not, or to be diffused upon the winds & have no individual Existence.18
3. Les signes de la résistance
Que reste-t-il dès lors sur la surface de la page ? Si l’objet ne peut s’écrire, la surface ne donnerait-elle pas à lire uniquement les signes de la résistance au geste de s’écrire ? Tout comme le mélancolique a le sentiment d’habiter un corps qui ne lui appartient plus, l’écriture elle-même semble se déposséder et se désubstantialiser. Marie-Claude Lambotte souligne « l’aspect formel et dévitalisé » du discours mélancolique, dépourvu d’affects et de sentiments, une « forme logique et impersonnelle où le ‘je’ n’a plus la fonction de shifter19 ».
Finalement, ce que le geste de s’écrire s’efforce de faire, c’est de rendre le soi à l’indéterminé, à ce néant insubstantiel qui fonde l’expérience mélancolique. Les Notebooks déploient dès lors toute une gamme de stratégies d’écriture permettant au poète d’effacer les traces d’un « je » écrivant : l’utilisation de langues étrangères, la biffure, l’effacement, la disposition aléatoire des signes graphiques sur la page, l’emploi de croquis, de lignes qui viennent se substituer aux mots. Ainsi cette page d’un carnet tenu à Malte où, probablement sous la double influence de l’opium et de l’angoisse, la structure linéaire du langage se disloque et s’effondre pour laisser place à un chaos de signes graphiques et de mots :
Le geste semble ici n’être que résistance à l’acte d’écrire puisqu’il adopte la logique propre à la pensée mélancolique qui s’involue vers « une stase peuplée d’indécisions et d’indéterminations20 ».
Autres exemples d’actes de résistance au geste de s’écrire que Coleridge affectionnait particulièrement : le cryptage et l’anagramme. Il combinait souvent ces techniques au sein de fragments à teneur érotique. Lorsque Coleridge s’évoque en tant qu’actant dans le texte, il masque son identité et celle de Sara Hutchinson en utilisant les anagrammes « Musaello » (Samuel) et « Asra ». Selon Antoine Compagnon, l’anagramme se fait le reflet d’une identité textuelle qui se dilue et se dérobe dans les lettres et traces graphiques du texte :
Le jeu anagrammatique confirme le paradoxe de l’identité divisée et fuyante dans l’expérience littéraire, qui travaille à faire et à défaire le nom, qui montre et cache les opérations du sujet sur la langue. Dans l’anagramme (…) la chute de l’identité symbolique se réalise dans le texte.21
La neutralisation du sujet s’opère également par un jeu sur les signes linguistiques. Coleridge avait conçu dans ses Notebooks deux cryptogrammes, l’un en décembre 1804 et un second, plus complexe, en 1807, à son retour de Malte. Pour Kathleen Coburn, éditrice de ses Notebooks, la mise en place d’un système d’encodage plus complexe était la transcription matérielle et visible d’une angoisse et d’une culpabilité de plus en plus profondes. Dans certains fragments, Coleridge prenait soin d’opérer un premier brouillage du message en se servant de diverses langues étrangères avant de crypter le fragment :
∏ανηγνριςε Σιν ein αγε Inganno + tintserebel uber νυκτα sphegliato [for svegliato] in cons. des morgens phruh [for fruh], e tallora per μη restare sphegliante [for svegliante] ελπις eina Delusione – Then anxiety, stiphlin[g] - αθμη.22
Rares sont les fragments qui se livrent à une telle confusion babélique dans les Carnets. Coleridge va jusqu’à modifier certaines lettres de mots allemands ou italiens. Le sens du fragment d’origine, avant le cryptage, se fait d’ores et déjà insaisissable et c’est peut-être dans cet insaisissable que nous devons chercher le sens. Seuls les deux derniers mots nous ramènent au mal du mélancolique : l’angoisse de penser qui se traduit par un sentiment d’étouffement. Ce passage pousse à un degré extrême le processus de neutralisation du soi et d’une écriture qui fait sens : l’absence de shifters, l’accolement agrammatical de mots étrangers les uns aux autres, l’insertion de passages en grec. L’écriture semble tourner au bord du vide et dire l’impossibilité de mettre en mot cette vacuité entrevue par le regard mélancolique.
Comme nous l’avons souligné en amont, l’acte de penser chez Coleridge se constitue par l’acte de langage, les structures grammaticales et lexicales venant conférer à la phrase un rythme qui épouse les mouvements de la pensée. Ce passage serait à notre sens une tentative ultime d’exprimer le sentiment d’incohérence et d’altérité de l’être, l’aspiration au néant qui fonde le vécu mélancolique. Il n’y a pas ici de logique de voilement / dévoilement d’un message rendu secret par le cryptage. Ce fragment combine tous les jeux langagiers fantaisistes de Coleridge qui œuvrent à la « disparition élocutoire23 » du sujet écrivant, conférant ainsi peut-être une certaine substance à ce flux de pensées étranger à soi.
Fondamental dans la théorie du langage de Coleridge, le geste d’écrire détermine donc l’acte de pensée : « Language & all symbols give outness to thoughts / & this the philosophical essence & purpose of Language24 ». Retrouver cette connexion vitale du mot à la chose (« Words as Things ») constitue l’essence de la poétique car selon lui : « Words have a tendency to confound themselves & co-adunate with the things [they signify].25 » Coleridge était intimement convaincu de la présence d’un langage primordial et symbolique qui serait à même de révéler les mystères de la nature humaine. Il était d’ailleurs fasciné, comme tous les romantiques, par le rapport pur et émerveillé de l’enfant à la nature, un rapport en deçà de la conscience, n’engageant donc pas le verbe. Les Notebooks seraient à notre sens un lieu d’écriture expérimental qui tente de donner une forme graphique au langage sémiotique (d’où la multiplicité de croquis, de courbes et de lignes qui émaillent le texte descriptif), ce langage en sous-main qui désarticule le discours symbolique pour retrouver cette fusion naturelle (« co-adunation ») de la pensée et du mot. Mais ces « images de pensée » que nous livrent les pages des Notebooks sont également le lieu où cette rencontre entre pensée de soi et langage sur soi se révèle impossible car le geste de s’écrire ne peut que faire le constat de l’impossible captation de l’objet mélancolique.