1. Introduction
Nos sociétés évoluent rapidement et les langues doivent s’adapter pour pouvoir décrire le monde qui les entoure. La création de nouveaux mots est ainsi la preuve de leur dynamisme (Dincă, 2011), l’enrichissement du lexique pour décrire de nouvelles réalités culturelles, sociétales, technologiques et scientifiques étant essentiel à cette évolution :
Qu’il s’agisse d’une découverte scientifique, d’un progrès industriel, d’une modification de la vie sociale, d’un mouvement de la pensée, d’une manière nouvelle de sentir ou de comprendre, d’un enrichissement du domaine moral, le néologisme est impérieusement demandé, et tout le monde crée des mots nouveaux. (Nyrop, cité par Guilbert, 1975 : 15).
La néologie est un phénomène naturel indispensable pour désigner et décrire ce qui nous entoure, ce que nous ressentons, ce que nous pensons. Il faut cependant distinguer plusieurs types d’innovations lexicales :
- Les néologismes correspondent aux mots nouveaux qui entrent dans la langue générale, dont l’utilisation est ainsi consolidée par une plus grande productivité : « le principe de reprise du mot nouveau par les locuteurs d’une langue est l’élément retenu dans la définition de neologism » (Poix, 2020 : 147), mais les néologismes conservent un caractère de nouveauté jusqu’à leur acceptation normative (intégration aux dictionnaires) ou leur disparition (ibid.) ;
- Les occasionnalismes, définis par Poix (2020) comme « un type d’innovation lexicale rencontré dans un contexte littéraire » (145), sont souvent voués à disparaître, car ils ne sont pas créés pour « enrichir le lexique ou pour combler un vide lexical, mais pour enrichir le texte (motivation stylistique) ou encore pour dénommer des entités fictives » (Poix, 2020 : 148) ;
- La création spontanée (ou nonce word) répond à un « besoin de communication immédiat » (Poix, 2020 : 146) et tend ainsi à disparaître une fois le besoin comblé (voir Munat, 2007).
L’innovation lexicale peut porter sur trois aspects : le signifiant, le signifié et la combinatoire : « On parle de néologie formelle pour l’apparition d’un nouveau signifiant qui n’était pas attesté antérieurement dans la langue » (Sablayrolles, 2019 : 40) ; « Les néologismes sémantiques [aussi appelés néosèmes, voir Sablayrolles, 2019 : 35] […] demandent un effort particulier d’interprétation […] Ils résultent de l’application de mécanismes tropiques, de figures. Aussi le sens nouveau peut-il toujours être mis en relation directe avec le sens originel » (Sablayrolles, 2019 : 41) ; et enfin « La néologie syntaxique se manifeste par des changements dans la combinatoire puisque la manière dont une unité lexicale peut entrer dans la composition d’une phrase fait partie du savoir intégré pour tout locuteur natif » (Sablayrolles, 2019 : 41).
On distingue ensuite le néologisme du néonyme. Si le premier appartient au lexique commun et à la langue générale, le deuxième va spécifiquement concerner « les dénominations de nouvelles connaissances spécialisées » (Sajous et Humbley, 2022 : 178), c’est-à-dire les mots nouveaux appartenant au lexique spécialisé. Pour le dire autrement, les néologismes « sont un moyen d’enrichissement et de modernisation du vocabulaire » alors que les néonymes « répondent à une nécessité d’ordre terminologique, imposés par les nouvelles réalités » (Dincă, 2011). Ils sont « la néologie des domaines de spécialité […] qui représente l’essentiel du travail pour certains terminologues » (Sablayrolles, 2019 : 87). Ils permettent de révéler la structure conceptuelle d’un domaine de spécialité. Pour une vision d’ensemble de la néologie française, nous renvoyons à l’ouvrage très complet de Jean-François Sablayrolles, 2019.
Dans le cadre de cet article, nous nous intéressons particulièrement aux néonymes et puisque notre objet d’étude portera sur le lexique de spécialité, nous nous tournons vers la discipline de la terminologie. Cette dernière s’efforce d’étudier et de décrire les « termes », que l’on distingue des mots par leur statut essentiellement pragmatique. En effet, le terme est utilisé dans un environnement linguistique particulier, celui du discours spécialisé et dans ce cadre il doit répondre à des exigences de communication, de cohérence et de précision auxquels ne sont pas confrontés (ou dans une moindre mesure) les mots du lexique commun : « il est extrêmement difficile, voire impossible, d’aborder le terme en faisant abstraction de l’application dans laquelle il est mis à contribution » (L’Homme, 2005 : 1130). Par exemple, on retrouve le terme « infographie » dans le domaine de l’informatique ou l’adjectif « court-termiste »1 dans le domaine de l’économie. Ces termes de spécialité sont nés d’une nécessité de désigner une nouvelle discipline ou une nouvelle notion.
La terminologie est un outil essentiel aux traducteurs professionnels. En cela, son enseignement est essentiel à l’enseignement de la traduction et, aujourd’hui, les cursus universitaires en traduction intègrent tous la terminologie à leur programme (voir Humbley, 2015). La terminologie appliquée à la traduction permet aux traducteurs spécialisés de comprendre le sens spécifique d’un terme, de trouver son équivalent exact dans le domaine concerné ou encore de créer de nouveaux termes – des néonymes – s’il n’existe pas encore d’équivalent. L’étude théorique de la terminologie permet également aux futurs traducteurs d’acquérir un socle linguistique solide leur permettant ce travail de recherche, de choix et de création qui imprégnera toute leur carrière. Ainsi, selon Dorina Chiş (2010 : 42) :
Le cours de terminologie se propose en premier lieu d’initier les étudiants au domaine général de la discipline afin de rendre les apprentis traducteurs capables en même temps de résoudre les problèmes de terminologie posés par les textes à traduire, de porter un regard critique sur les ouvrages terminographiques et lexicographiques dont ils disposent et de savoir mener une recherche personnelle, originale et efficiente, pour les cas où ces ouvrages ne fournissent pas de solutions satisfaisantes.
Il est vrai que, même si les connaissances terminologiques sont d’une grande importance pour toutes les personnes travaillant avec la langue, les traducteurs spécialisés2 sont l’un des publics les plus directement concernés par les problèmes posés par la terminologie. Les termes spécialisés sont des vecteurs des connaissances techniques et scientifiques. Néanmoins, il est intéressant d’observer que la terminologie peut également avoir un impact sur le monde de la littérature3 et notamment en littérature de science-fiction.
Le genre de la science-fiction foisonne de nouveaux objets, de nouveaux concepts et de nouvelles notions qui désignent des inventions technoscientifiques ou sociohistoriques. Darko Suvin désigne ces nouveautés comme des « novums » (Suvin, 1979) : « une nouveauté non triviale, l’élément d’altérité introduit par les textes de science-fiction : une technologie, une société autre, voire une science imaginaire construite de toutes pièces » (Saint-Gelais, 2013). Les nouveautés ainsi créées par les auteurs réclament souvent un nouveau mot pour les désigner : « Sans aucun doute, la création de nouveaux mondes évocateurs différents du nôtre demande la création de nouveaux mots évocateurs pour les décrire » (Westfahl, 1993 : 290).
Ces novums se construisent en prenant notre réalité comme socle de référence, même si leur fonctionnement ou existence reposent sur des explications « pseudo-scientifiques ». Ainsi, le lecteur a la sensation que cela « pourrait être vrai », que ce soit dans un autre temps ou un autre lieu. Cette particularité des novums est importante, car lorsqu’un mot est nouvellement créé pour les désigner, il est formé à partir des matrices lexicales déjà existantes dans la langue (Tournier, 1985 ; Pruvost et Sablayrolles, 2016). Le lecteur peut ainsi reconnaître la construction du terme et, souvent, deviner le domaine auquel il appartient avant même d’en avoir une définition précise4. Leur usage correspond également au fonctionnement naturel de la langue : les termes-fictions s’intègrent au sein des phrases comme tous les autres mots connus du lecteur. Ainsi, les créations lexicales science-fictionnelles, si elles n’ont pas forcément vocation à intégrer le lexique scientifique et technique, s’en donnent toutes les apparences, car « les “termes spécialisés” […] donnent une aura de scientificité au récit » et « pour qu’un monde autre puisse émerger, il faut que le lecteur puisse établir des relations entre son encyclopédie personnelle et le novum, afin de nourrir et enrichir ce monde science-fictionnel de toute une profondeur d’humanité » (Fries, 2016 : 203 et 214).
Voici quelques exemples :
- « Resurrection Day – the holiday on which the half-lifers were publicly honored – lay just around the corner; the rush would soon be beginning. » (Dick, 2004 [1969])
- « And not one had left without at least one effort to pit his skill with air speedster and needle gun against the feathered flying fortress they call the Nyakbird. » (Asimov, 1985 [1951])
- « By the way, what's the endurance record for sky-biking? » (Clarke, 2006 [1973])
Un grand nombre de termes science-fictionnels sont construits pour paraître plausibles aux yeux des lecteurs, potentiellement intégrables à un futur état du lexique. Dès ses origines, la science-fiction se nourrit de la science et de la technologie pour nous proposer des évolutions et des changements sociétaux et cela transparaît dans la manière dont les auteurs créent des néonymes fictionnels : « Dès les romans de prospective scientifique se dessine donc un lien entre les termes de la science d’aujourd’hui et les concepts propres à la science-fiction » (Fries, 2016 : 201).
Des dictionnaires entiers, majoritairement anglophones, sont dédiés au classement et à la définition de ces inventions proposées par les auteurs de science-fiction (Prucher, 2007 ; Sheidlower, 2021). S’il est toujours intéressant d’étudier les créations lexicales de la littérature5 (voir Klein, 2016 pour une typologie de la néologie littéraire ou encore Poix, 2018, 2019 et 2020 pour la création lexicale dans la littérature pour enfants), les créations science-fictionnelles se révèlent particulières. En effet, les créations lexicales du genre, appelées termes-fictions (Ray, 2019b), nourrissent ce que l’on nomme le « mégatexte » de la science-fiction (Broderick, 1992). Ainsi, ces néologismes science-fictionnels peuvent traverser les frontières de leur propre univers pour être réutilisés par d’autres auteurs dans d’autres univers science-fictionnels. C’est le cas de terraforming : créé par Williamson en 1942, on le retrouve dans des romans de David Brin (1980) ou encore d’Arthur C. Clarke (1993) ; il est même aujourd’hui utilisé par la communauté scientifique6 (Steigerwald, 2018). Il en va de même du terme-fiction aircab créé en 1934 dans une histoire de Vincent (1934) et repris dans d’autres romans, le plus récent datant de 2004 (Evans et Ringo). Le lexique de la science-fiction devient ainsi un ensemble de savoirs partagés par une communauté spécifique, il fait partie de l’encyclopédie commune de la science-fiction. En cela, les termes-fictions se comportent comme toute autre terminologie et structurent le champ conceptuel de la science-fiction, partagé par les œuvres à travers le temps et l’espace.
Dans ce contexte, on ne peut pas parler des créations lexicales science-fictionnelles comme des occasionnalismes, car certains termes-fictions deviennent productifs (c'est-à-dire intègrent le mégatexte pour être réutilisés par les auteurs et les lecteurs) et le concept qu’ils désignent entre dans l’imaginaire commun et l’encyclopédie du genre.
Le caractère hybride des termes-fictions, à la fois créations littéraires et spécialisées, peut être un atout dans le cadre de l’enseignement de la traduction. Ces créations lexicales posent non seulement les difficultés inhérentes aux termes spécialisés, en désignant de nouveaux concepts et objets technico-scientifiques ou sociohistoriques, mais leur nature fondamentalement littéraire permet aussi une certaine liberté créative, dans le sens où ils remplissent également une fonction stylistique qui doit être prise en compte lors de la traduction. Voici, à titre comparatif, un tableau présentant, à gauche, des termes-fictions pouvant s’intégrer à la terminologie d’un domaine existant et à droite des termes déjà existants construits via les mêmes stratégies de création lexicale :
Termes-fictions | Termes existants |
medication-dispensing machine | dispensing machine |
meta-glass | meta-arsenate |
needle gun | air gun |
artificial sun | artificial intelligence |
air-propelled train | air-propelled hovercraft |
starward | upward |
galactography | geography |
mindspeech | cued speech |
Terran | Russian |
En partant de ce constat, il peut être fort intéressant d’utiliser les termes-fictions comme ressource dans l’apprentissage de la traduction et notamment de la traduction spécialisée. En effet, les traducteurs professionnels se retrouvent confrontés à des termes nouveaux, construits sur des modèles lexicaux préexistants qu’ils doivent, dans un premier temps, comprendre et déconstruire pour, dans un deuxième temps, les reconstruire dans une autre langue et donc à l’aide d’autres outils morphosyntaxiques. Utiliser les termes inventés de la science-fiction pour aborder le problème des néonymes dans la traduction scientifique et technique possède deux avantages : tout d’abord, il s’agit d’un genre qui regorge de nouveautés lexicales très différentes – que ce soit dans leur domaine d’application ou dans leur construction lexicale. Ensuite, cela permet d’expérimenter de façon ludique un aspect de la traduction professionnelle qui peut se présenter comme un véritable obstacle dans l’esprit des apprenants (voir Chiş, 2010, pour de plus amples précisions sur la terminologie dans la formation des traducteurs).
Cet article propose d’utiliser les termes-fictions comme ressource à travers deux exercices terminologiques différents. Malheureusement, ces ateliers n’ont pas encore pu être testés par nos soins en conditions réelles d’enseignement. Il s’agit là de pistes de réflexion qui sont amenées à évoluer après une mise en place en salle de cours. Nous destinons ces exercices à des étudiants de master en traduction et communication multilingue qui se destinent à la traduction en indépendant dans des domaines plus ou moins spécialisés. Ces ateliers viendraient en complément de séances théoriques et pratiques autour de la terminologie et de la terminographie afin qu’ils puissent utiliser les connaissances acquises sur les matrices lexicales (Sablayrolles, 2019, p. 127) pour appréhender la construction de termes de manière efficace et appliquer les notions vues en cours. Ils seraient à compléter par d’autres exercices notamment sur les relations sémantiques entre les termes afin que les étudiants puissent saisir la portée structurante de la discipline7.
2. Propositions d’exercices
Les deux exercices qui suivent ont été construits d’après un corpus restreint d’œuvres de science-fiction anglophones présentant des termes-fictions particulièrement intégrés dans les matrices lexicogéniques de la langue anglaise (Tournier, 1985 ; Gindre, 1999 et Sablayrolles, 2019). Tous les termes utilisent des éléments morphologiques ou lexicaux préalablement connus du lecteur qui sont utilisés ou agencés de manière à créer un nouveau référent dans le monde présenté par l’auteur. Quatre œuvres classiques du genre ont été sélectionnées : « Ubik » (1969) de Philip K. Dick et traduit par Alain Dorémieux ; « Foundation » (1951) d’Isaac Asimov et traduit par Jean Rosenthal ; Rendezvous with Rama (1973) d’Arthur C. Clarke et traduit par Didier Pemerle et Starship Troopers (1959) de Robert A. Heinlein et traduit par Michel Demuth8. Les termes retenus pour les exercices proposés proviennent de domaines d’application différents afin de diversifier les modèles lexicaux et les phraséologies associées. Cependant, nous n’avons pas considéré les néosèmes pour ces exercices : les néologismes sémantiques et les extensions de sens de termes déjà lexicalisés dans la langue pourraient faire l’objet d’autres ateliers. Voici les termes retenus :
Terme | Domaine | Définition | Auteur |
triocular vision | biologie | vision à trois yeux | Arthur C. Clarke |
ultrawave relay | communication | système de communication instantanée | Isaac Asimov |
homeopape | technologie | journal d’information filtrant les articles selon les intérêts du lecteur | Philip K. Dick |
spaceport | bâtiment | construction spatiale pour les atterrissages et les décollages de vaisseaux spatiaux. | Robert A. Heinlein |
biot | robotique | être organique et robotique | Arthur C. Clarke |
battle cruiser | transport | vaisseau spatial de guerre | Isaac Asimov |
self-destruct humanoid bomb | armes | robot humanoïde faisant office d’engin explosif | Philip K. Dick |
tanglefoot bomb | armes | bombe relâchant du gaz s’attaquant aux centres nerveux | Robert A. Heinlein |
artificial beauty aid | médecine | implants artificiels rendant le visage plus beau | Philip K. Dick |
Simpish | linguistique | langue des singes génétiquement modifiés | Arthur C. Clarke |
Nous proposons ainsi deux exercices différents : le premier est un atelier de création terminologique lié au travail de traduction. L’apprenant dispose d’un matériel terminologique et doit le transférer en langue cible sous la forme d’une création lexicale. Le deuxième exercice consiste en un atelier contrastif où l’apprenant sera amené à comparer un terme-fiction en langue source avec sa version en langue cible afin de comprendre les choix du traducteur amenant à la création du nouveau terme. L’ordre de ces deux ateliers n’est pas hiérarchique et, selon le programme de cours, peut être inversé.
2.1. Exercice 1 : atelier de création lexicale
Dans ce premier exercice, l’apprenant se retrouve face à des éléments lexicaux nouveaux qu’il doit traduire en langue cible, le français dans notre cas. Le professeur lui donne ainsi accès aux contextes des termes-fictions, plus ou moins proches et longs selon la difficulté de compréhension dudit terme. Il s’agit d’analyser le terme, de comprendre sa signification, sa morphologie, son domaine d’application afin de proposer une traduction qui s’insérerait également dans la terminologie francophone du domaine concerné tout en conservant ses caractéristiques stylistiques le cas échéant.
Cet atelier peut se faire de manière individuelle, mais il serait également intéressant de faire travailler les apprenants par groupe afin de dynamiser l’exercice, d’améliorer leur travail d’équipe et surtout de leur permettre d’argumenter leurs choix et de les expliquer clairement. En tant que professionnels, ils seront amenés à justifier des choix néologiques auprès de leurs clients.
La différence principale entre les termes-fictions et la terminologie existante des domaines concernés réside dans le caractère hybride de ces termes. L’apprenant doit prendre en compte leur origine littéraire : ces termes sont présents dans les romans afin de créer un effet sur le lecteur et il faut tenter de le reproduire dans la traduction. Plusieurs effets ont pu être relevés lors de l’analyse des termes-fictions : exotique, humoristique, technico-scientifique, etc. (Ray, 2019b).
Trois étapes se distinguent pour cet exercice :
1. Le terme source : terme dans son contexte original (plusieurs occurrences d’utilisation peuvent être données pour que la signification du terme soit comprise). L’apprenant analyse et comprend le terme source.
Numéro d’exemple | Terme | Analyse morphologique |
1 | self-destruct humanoid bomb | adjectif + adjectif + nom |
2 | biot | adjectif + nom |
3 | battle cruiser | nom + nom |
4 | artificial beauty aid | adjectif + nom + nom |
5 | spaceport | nom + nom |
2. La langue cible : tout d’abord, l’étudiant recherche si des équivalents cibles existent déjà dans la langue cible pour les dénominations proposées à l’étape 1. Il s’agira de constituer un corpus de sources fiables et pertinentes et d’amorcer un véritable travail de recherche terminologique. Si un terme équivalent existe déjà, il peut en évaluer la traduction et le considérer ou non comme satisfaisant. Ensuite, l’apprenant recherche des termes proches en langue cible pour définir les stratégies de créations lexicales les plus utilisées dans le domaine concerné.
N° | Domaine | Termes similaires existants |
1 | Armement | « armes d’autodestruction » |
2 | Robotique | « cobotique » |
3 | Transport | « vaisseau de ligne » « navire de guerre » |
4 | Sciences | « audioprothèse » |
5 | Transport | « aéroport » |
3. Le terme cible : l’apprenant recherche des équivalents potentiels en prenant en compte le caractère hybride des termes-fictions.
N° | Équivalents potentiels |
1 | « bombe humanoïde auto-destructrice » « bombe d’autodestruction humanoïde » « bombe humanoïde explosante » « humanoïde kamikaze » |
2 | « robot biologique » « biobot » « être robotique » |
3 | « croiseur de bataille » « vaisseau de combat » « vaisseau spatial militaire » |
4 | « aide à la beauté artificielle » « soutien esthétique artificiel » « prothèse esthétique » |
5 | « port spatial » « port de l’espace » « spatioport » |
Cet exercice permet à l’apprenant de déconstruire les termes, de comprendre leur création d’un point de vue morphosyntaxique, mais également l’importance de la terminologie dans leur travail de traduction. La dernière étape, plus ludique, permet à l’apprenant d’appliquer ce qu’il a pu observer aux étapes précédentes pour proposer des équivalences en langue cible.
2.2. Exercice 2 : atelier contrastif
Dans ce deuxième exercice, l’apprenant est confronté à des créations lexicales science-fictionnelles et à leur traduction en français. Il est possible d’utiliser les mêmes termes pour ces deux ateliers, ajoutant ainsi la comparaison des équivalences trouvées par l’apprenant avec celle du ou des traducteur(s) du roman. Nous avons décidé ici de ne pas utiliser les mêmes termes pour diversifier notre corpus limité. Néanmoins, en situation de classe, il serait pertinent d’avoir un corpus élargi9 et de faire travailler les groupes d’apprenants sur des termes différents pour analyser un plus grand nombre de constructions lexicales possibles et utiliser des domaines terminologiques variés.
L’objectif de cet exercice est de comprendre les termes créés, leur forme et leur signification, mais également la manière dont ils ont été traités en traduction française. Il s’agit d’analyser les choix du traducteur, les effets du terme sur le lecteur, de considérer des options qu’il n’avait pas envisagées ou de mettre en lumière certaines erreurs de traduction. De la même manière que pour l’atelier précédent, permettre aux apprenants de travailler en groupe peut être ici pédagogiquement intéressant.
Quatre étapes se distinguent pour cet exercice :
1. Le terme source : l’apprenant analyse le terme source d’un point de vue morphosyntaxique et sémantique.
Numéro d’exemple | Terme | Analyse morphologique | Stratégie de création |
6 | triocular vision | adjectif + nom (adjectif = préfixe + adjectif) | composé par emboîtement relation « type » |
7 | ultrawave relay | nom + nom (nom1 = préfixe + nom) | composé par emboîtement relation « matériel » |
8 | homeopape | adjectif + nom | adjectif d’origine grec troncation du N relation « type » |
9 | tanglefoot bomb | nom + nom (nom1 = verbe + nom) | composé relation « fonction » |
10 | simpish | nom + suffixe | N + suffixe troncation du N |
2. Le terme cible : l’apprenant analyse le terme cible d’un point de vue morphosyntaxique et sémantique.
3. La stratégie de création : l’apprenant compare les choix de création lexicale et analyse la stratégie de traduction choisie par le traducteur. Il peut déjà émettre un avis et proposer des solutions de traduction qui lui paraissent plus adéquates, si cela est pertinent.
N° | Terme | Analyse morphologique | Stratégie de création |
6 | « vision trioculaire » | nom + adjectif (adjectif = préfixe + adjectif) | composé par emboîtement relation « type » |
7 | « relais à hyperondes » | nom + préposition + nom (nom2 = préfixe + nom) | composé par emboîtement relation « matériel » |
8 | « homéojournal » | adjectif + nom | adjectif d’origine grec relation « type » |
9 | « bombe-entrave » | nom + nom | trait d’union relation « fonction » |
10 | « simiesque » | nom dérivé | néologie sémantique |
4. L’effet de traduction : l’apprenant compare les effets du terme inventé dans les deux langues, et donc sa réception par les lecteurs.
N° | Terme | Réception |
6 | « vision trioculaire » | similaire en langues source et cible |
7 | « relais à hyperondes » | similaire en langues source et cible |
8 | « homéojournal » | moins ambiguë puisque le substantif n’est plus tronqué (pape devient « journal ») |
9 | « bombe-entrave » | le terme est moins technique puisque foot a été supprimé en langue cible |
10 | « simiesque » | domestication du terme par néologie sémantique |
Dans nos exemples, les termes traduits reprennent en majorité l’effet voulu par l’auteur en langue source : tous les composés conservent d’ailleurs la même relation entre leurs composants. Néanmoins, notre dernier exemple, simpish et « simiesque », fonctionne différemment. En effet, simpish est une création terminologique associée au domaine du langage puisque le terme désigne la langue des singes dans le roman Rendez-vous with Rama d’Arthur C. Clarke. L’auteur a associé l’abréviation de superchimp (simp), lui-même terme-fiction désignant des singes génétiquement modifiés, au suffixe -ish utilisé pour désigner des langues English, Finnish, Spanish, etc. En français, simp est traduit par le terme déjà lexicalisé, « singe » ; le terme « simiesque » n’est pas un néologisme formel, il s’agit d’un adjectif déjà présent en langue française désignant tout ce qui se rapporte au singe (« simiesque »). Le traducteur a fait le choix de recatégoriser « simiesque » comme un substantif et, ce faisant, de lui accorder une toute nouvelle signification : la langue parlée par les singes génétiquement modifiés. La réception du terme est quelque peu différente en français puisque le lecteur n’ajoute pas un nouveau terme à son glossaire science-fictionnel, mais actualise un terme qui lui est déjà familier. L’exotisme provoqué par ce terme est ainsi diminué de la langue source à la langue cible. On peut tout à fait imaginer étendre l’exercice en demandant la création d’arbres sémantiques et de fiches terminographiques autour des termes sources et cibles, à condition d’utiliser un plus grand nombre d’exemples, afin d’opérer une transition vers une approche plus professionnelle et plus structurante.
3. Conclusion
La terminologie est essentielle à la formation des futurs traducteurs, notamment dans le cadre de la traduction spécialisée. Comprendre le fonctionnement des termes, leur relation les uns par rapport aux autres et leur intégration au sein du domaine concerné sont des compétences nécessaires à la traduction spécialisée : « La structuration d’un champ conceptuel reflète une certaine vision culturelle et scientifique de la réalité à définir pour établir correctement les équivalents dans les langues différentes » (Cilianu-Lascu, 2010 : 53, italique dans le texte). Non seulement les textes spécialisés utilisent des termes précis dont la signification dépend éminemment du domaine de spécialisation du texte, mais ils utilisent également une phraséologie et des relations logiques et ontologiques spécifiques. La « compétence terminologique » est « un savoir-agir complexe qui implique la mobilisation et l’agencement d’un bagage cognitif, facilitant ainsi la maîtrise de la structure conceptuelle d’un domaine de spécialité et la résolution de problèmes terminologiques dans la pratique traductive » (Navarro, 2016 : 68) : un aspect fondamental du travail du traducteur et donc de la formation des futurs traducteurs.
La science-fiction dispose d’une encyclopédie partagée, comme n’importe quel champ technique ou scientifique. Cette encyclopédie regorge de concepts, de notions et d’objets que les auteurs nomment et relient les uns aux autres. Bien que désignant des éléments fictionnels, les termes-fictions fonctionnent comme une véritable terminologie, même si leur caractère imaginaire les éloigne de fait de la réalité scientifique et technique. Ils représentent alors une véritable ressource d’apprentissage pour les apprenants, et notamment les futurs traducteurs.
L’utilisation de cette ressource terminologique dans l’enseignement de la traduction peut permettre d’approcher de manière ludique la discipline de la terminologie et de souligner sa relation étroite avec la traduction spécialisée. Elle peut également permettre d’aborder toutes les facettes de la terminologie : le sens, la construction morphosyntaxique, la phraséologie, la collocation, la relation logique et hiérarchique entre termes, la définition et la rédaction de fiches terminographiques. Ces exercices veulent attirer la curiosité des étudiants en ce qui concerne la terminologie et les néonymes tout en leur démontrant l’importance de la discipline dans leur futur métier. Les termes utilisés n’ont pas vocation à être exploités ensuite par les communautés scientifiques et techniques et ils peuvent ne pas être productifs (tous les termes de science-fiction ne survivent pas au-delà de leur texte d’origine). L’objectif est d’approcher la terminologie sous un nouvel angle pédagogique ; la discipline peut être lourde et rébarbative pour les étudiants en traduction et la mise en place d’ateliers créatifs autour de termes issus de la culture populaire pourrait permettre de les atteindre plus aisément et de leur démontrer les atouts d’une approche terminologique lorsque l’on fait face à un texte spécialisé. Les termes-fictions, comme terrain de jeu terminologique et traductif dans l’enseignement de la traduction, semblent tout à fait propices à cette approche.