La réflexion sur la didactique de l’interprétation a été le coup d’envoi des études d’interprétation (Interpreting Studies) qui lui ont toujours réservé une attention particulière1 à partir de la naissance de l’interprétation de conférence au niveau international, jusqu’à l’apparition et l’affirmation de l’interprétation au service d’une communication située dans les domaines de la vie quotidienne au niveau national.
Le besoin d’assurer la relève des premiers interprètes professionnels au sein des grandes organisations internationales depuis la fin de la première guerre mondiale a favorisé la naissance des écoles d’interprétation qui, encore aujourd’hui, forment nombre d’étudiants. Le Manuel de l’interprète de Jean Herbert, publié en 1952, ainsi que La prise de notes en interprétation consécutive de Jean-François Rozan, paru en 1956, marquent la toute première étape du travail d’élaboration d’approches et d’outils didactiques destinés à l’enseignement de l’interprétation en Europe. Les manuels publiés au cours des années 60 et 70 du XXe siècle témoignent de l’effervescence d’un domaine qui, en empruntant un chemin empirique, essaya d’arriver non seulement à la théorisation des approches didactiques les plus appropriées mais aussi à la construction d’une ou de plusieurs théories en mesure d’expliquer les mécanismes cognitifs qui régissent le processus d’interprétation et qui, à leur tour, peuvent représenter une base valable pour asseoir les méthodes didactiques appliquées ou recommandées. Le foisonnement de la réflexion sur l’enseignement de l’interprétation de conférence et des deux modalités qui la caractérisent, à savoir l’interprétation simultanée et l’interprétation consécutive, a trouvé des points d’arrivée et, à la fois, de nouveaux départs dans des colloques et des publications qui ont marqué l’histoire des études dans ce domaine. Nous ne rappellerons que les grands rendez-vous initiaux de ce parcours comme le colloque The Theoretical and Practical Aspects of Teaching Conference Interpreting – organisé à Trieste en 1986 et dont les actes furent publiés par Laura Gran et John Dodds en 1989 – et les trois éditions de « Teaching Translation and Interpreting » (Dollerup et Loddegaard, 1992 ; Dollerup et Lindegard, 1994 ; Dollerup et Appel, 1996). Au fil des années, les apports se sont multipliés de façon exponentielle, privilégiant à chaque fois les différents aspects de l’interprétation et de sa pédagogie tels que les modalités, la paire de langues et la directionnalité, les exercices préparatoires à l’interprétation consécutive et/ou simultanée, le caractère propédeutique ou non de la consécutive vis-à-vis de la simultanée, les tests d’aptitude et l’évaluation.
L’irruption de l’interprétation dans des situations où se déroule la vie des citoyens au quotidien ainsi que l’attention particulière consacrée à l’interprétation en langues des signes sont à l’origine des études sur le Community interpreting ou « interprétation pour les services publics » aussi bien que de l’interprétation de dialogue, qui, pointant notamment la dimension dialogale et tout ce qui en découle sur le plan interactionnel et du positionnement de l’interprète (Mason, 1999, 2009 ; Merlini, 2015), représente une sorte d’évolution conceptuelle des deux premiers. La formation des interprètes y joue un rôle de premier plan comme on peut le constater en feuilletant les différents volumes issus des conférences du Critical Link ainsi que les nombreuses publications en la matière parmi lesquelles nous signalons Teaching Dialogue Interpreting, dirigé par Letizia Cirillo et Natacha Niemants (2017). Ce volume réunit des contributions axées sur l’enseignement de l’interprétation de dialogue dans des contextes spécifiques tels que la télévision, les négociations commerciales, le domaine judiciaire, l’éducation ou les festivals de cinéma, et consacre une section aux principes théoriques et méthodologiques de l’enseignement, avant de terminer sur les nouvelles tendances tracées par l’application de méthodes innovantes découlant, à leur tour, des résultats de la recherche2.
Sans aucun doute, l’application des nouvelles technologies à l’enseignement de l’interprétation, toutes modalités et tous contextes confondus, représente l’apport le plus innovant et, à présent, le plus étudié. Du recours forcé aux plateformes de visioconférence pendant la pandémie de Covid-19 à la mise au point et à l’utilisation des CAI (Computer-Assisted Interpreting), la didactique de l’interprétation est appelée à un renouveau constant et régulier pour répondre aux besoins d’un monde du travail en perpétuelle évolution. D’ailleurs, c’est à la demande en provenance du monde du travail (par exemple AIIC – Association internationale des interprètes de conférence, UE – Union européenne) que les instituts de formation, réunis sous l’égide de la CIUTI (Conférence Internationale Permanente d’Instituts Universitaires de Traducteurs et Interprètes) ou de l’EMCI (European Union’s Masters in Conference Interpreting), ont mis au point ou revu leurs cursus académiques (Sawyer et Roy, 2015 ; Kalina et Barranco-Droege, 2022).
C’est à partir de cette riche toile de fond que le numéro 2 de la revue À tradire entend se focaliser sur la didactique de l’interprétation – quels que soient le contexte, les modalités étudiées et les langues, des signes ou vocales – et axer la réflexion, notamment mais pas exclusivement, sur :
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les relations entre recherche et approches didactiques ;
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le monde du travail et la formation ;
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les effets des nouvelles technologies sur la capacité d’apprentissage des étudiants et celle des formateurs à enseigner ;
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les méthodes, outils et objectifs de la formation en interprétation ;
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la sensibilisation des étudiants aux enjeux de la formation à travers les résultats de la recherche – exploitation de corpus d’interprétation pendant les cours ou intersection avec d’autres domaines disciplinaires (Niemants et Stokoe, 2017 ; Fantinuoli, 2018) ;
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la sensibilisation au rôle social que l’interprète joue dans les différents types d’interaction ;
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la sensibilisation aux aspects éthiques et déontologiques de la profession d’interprète ;
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les différences et intersections (Kalina et Barranco-Droege, 2022, 328) entre formation en interprétation de conférence et en interprétation de dialogue (Linell, 1998 ; Diriker, 2004 ; Wadensjö, 1998).
Autant de points d’une réflexion en expansion constante qui amène les chercheur·e·s à s’interroger de plus en plus sur l’enseignement et l’apprentissage d’un savoir-faire qui consiste avant toute chose à faire en sorte que l’interprète de demain soit en mesure d’assumer la responsabilité d’une action réalisée par la parole, y compris par la sienne.
Publication numérique : exploiter les données autrement
La revue À tradire étant exclusivement numérique, elle permet de publier directement les matériaux analysés sous forme d’extraits de fichiers audio/vidéo, qui peuvent remplacer ou compléter des transcriptions de dialogues, d’interprétations, etc. Les auteurs sont donc invités à l’envisager dès l’écriture de leur article et à fournir les données en question à la revue, dans le strict respect de la charte éthique et déontologique de la revue et du règlement général sur la protection des données personnelles (RGPD).
Le comité éditorial n’encourage pas la mise à disposition de données audio ou audiovisuelles anonymisées parce que 1) les voix ainsi transformées risqueraient de détourner l’attention des lecteurs-auditeurs du contenu ; 2) les manipulations nécessaires du son pour obtenir l’anonymisation pourraient rendre imperceptibles des nuances d’intonation, par exemple, nécessaires à l’analyse et à la compréhension des exemples.
Il reste toutefois deux possibilités pour mettre les données à disposition du public de la revue :
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Si les auteurs ont déjà mis en place un plan de gestion des données, fait signer les autorisations nécessaires aux personnes enregistrées et déposé les enregistrements dans un répertoire le plus pérenne possible sur Internet, il suffit d’indiquer l’adresse permettant d’accéder aux données dans la proposition d’article.
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Pour le cas où ce ne serait pas encore fait, nous fournissons en annexe de cet appel un modèle de formulaire qui peut soit être utilisé tel quel, rempli par les personnes enregistrées et joint à la proposition d’article en autant d’exemplaires que de participants à la recherche. Il est aussi possible de s’en inspirer ou de le traduire pour informer dûment les participants, recueillir leur accord explicite et ainsi se protéger, protéger les personnes enregistrées et aussi la revue.
Calendrier et modalités de soumission
Les articles, originaux, devront être envoyés aux coordinatrices avant le 30 juin 2023 à l’adresse articles[à]atradire.fr. Les auteurs correspondants devront copier-coller dans leur message la phrase suivante :
Par le présent message, j’atteste que les co-auteurs éventuels de l’article soumis et moi-même, en tant qu’auteur correspondant, avons bien pris connaissance de la charte éthique et déontologique de la revue et y adhérons sans réserve.
Conformément aux règles de la revue, les articles seront préalablement examinés par les coordinatrices du numéro, puis soumis à une évaluation en double aveugle. Les réponses aux propositions de contributions seront données au plus tard fin octobre 2023.
Les textes devront respecter les règles de présentation et d’anonymisation habituellement appliquées par la revue À tradire (consignes aux auteurs). Ils devront être accompagnés d’un résumé de 1 000 caractères maximum et de mots-clés qui, comme le titre de l’article, devront également être traduits en anglais et éventuellement dans une ou plusieurs autres langues au choix (voir politique linguistique dans les consignes aux auteurs).